mercredi 23 janvier 2008

CRISE DIT-ON !

CRISE DIT-ON !
1-Crise financière inévitable
Les événements et les tempéraments des marchés financiers, les places financières , les secteurs bancaires aux Etats-Unis, en Europe et dans les principales places financières asiatiques montrent qu’une crise financière est entrain d’ébranler l’économie mondiale. Si pour certains, il est encore trop tot de confirmer qu’une crise se profile, pour les autres elle est déjà là. Rappelons qu’à la différence des crises financières récentes (crise mexicaine de 1994, asiatique de 1997, russe de 1998 , Argentine de 2001 , la crise de LTCM de 2000-2001 , la crise d’aujourd’hui touche principalement les Etats-Unis –la première puissance économique mondiale .La contagion de la crise dans les autres régions du monde ( Europe , pays émergents d’Asie ) est déjà une évidence. Les turbulences et la nervosité ressenties au niveau des principaux marchés financiers européens ( Londres, Paris ) et asiatique ( Hong kong , Shangai ,Bombay) avant-hier ( 21 janvier ) qui se sont calmées un peu hier (22 janvier )font preuve de l’interdépendance accrue de l’ économie mondiale. Comment serait-il possible qu’une crise des Supprimes (crédit immobilier aux Etats-Unis ) affecte-t-elle les marchés financiers des autres pays et régions à des milliers de kilomètre du foyer de la crise ?Rappelons que le plan de relance ( crédit d’impôt et dons gouvernementaux ) de l’ordre de 140 milliards de dollars US proposé par le Président Georges Bush ,jugé insuffisant par les analystes financiers ( donc du marché financier ) qui a déclenché ce vent de panique de ces derniers jours. La décision de la FED de réduire de trois quart de points de base son principal taux (taux directeur dans le langage courant) a calmé un peu la nervosité des marchés financiers, mais la suite ( le future) reste incertain.En Grande Bretagne ,le crédit de 30 milliards d'Euros de la Banque d'Angleterre pour sauver la faillite du Nothern Bank est dejà la preuve tangible de la gravité de cette crise.Au niveau mondial , on estime qu'environ 300 milliards de dollars ( 214 milliards d'euros soit environ 77,5% du budget annuel de la France : 276 milliards d'euros en 2008) se sont dejà évaporées suite à cette crise dont la portée reste encore inconnue jusqu'à ce jour. Une chose est sure , l’ économie américaine entre en récession ,mais le problème est justement de savoir l’ ampleur de cette récession .Cette récession américaine va affecter l’économie mondiale tout entier , l’ Europe , l’Asie ,l’ Afrique mais ce sont les pays qui entretiennent une relation économique privilégiée avec les Etats-Unis( lien commerciale , et financier : zone dollar ) qui seront les plus touchés.
L’analyse de l’importance de cette crise dans les pays développés peut être appréhendée via l’examen du taux d’intermédiation financière (rapport entre le crédit bancaire / crédit intérieur total). D ‘après Boutiller et Bricongne [2006] , en France, le taux d’intermédiation financière au sens strict (hors crédits des OPCVM et des sociétés d’assurasse) est passé de 54% à 39 ,5% de 1994 à 2004. Ce taux est passé de 55,4% à 40 ,4 % respectivement en 1994 et 2004 si on tient compte des crédits des OPCVM et des sociétés d’assurance. Le taux d’intermédiation au sens large quant à lui est passé de 76 ,2% en 1994 à 58 ,8% en 2004 .L’économie française est donc une économie de marchés financier si on se réfère au taux d’intermédiation au sens strict (intermédiation bancaire) mais elle est une économie d’endettement si on tient compte du taux au sens large.
La situation des quatre autres pays riches (Etats –Unis, Royaume Uni, Allemagne, Espagne) mérite d’être mentionnée .Limitant l’analyse au taux d’intermédiation au sens strict ( intermédiation bancaire ), les Etats-Unis et le Royaume Uni sont déjà classés dans l’économie de marché financier, toutefois, cette affirmation est à relativiser car ils ne sont pas vraiment loin de la valeur frontière de 1/2 qui délimite notre classification En effet , le taux d’intermédiation financière des Etats-Unis et du Royaume Uni ont passé respectivement de 33,6% , 33 ,8% en 1994 à 42,9% et 38,9% en 2000 . En 2004, ce taux a été respectivement 47,7 % et 46,2% .L’Allemagne et l’Espagne par contre sont des pays qui méritent de figurer dans les pays à « Economie d’endettement» .Un taux d’intermédiation financière de 69,6% en 1994 ; 73,4% en 2000 et 68 ,6% en 2004 a fait de l’Allemagne le premier pays le plus intermédié parmi les pays les plus riches. L’Espagne avec un taux de 46,1% en 1994 ; 50,6 % en 2000 et 60,2% en 2004 n’en reste pas loin. Les pays qui affichent un taux d’intermédiation financière au sens strict (intermédiation bancaire ) important sont les pays qui risquent de subir le plus de désordre de la crise actuelle.

La question qui nous préoccupe ici alors, c’est de savoir le lien existant entre le secteur financier et le secteur réel de l’économie ? Comment le secteur financier influe-t-il le secteur réel de l’économie ?Y- a-il une relation univoque entre ces deux secteurs ?Limitant l’ analyse au niveau théorique , notre démarche essaie juste d’avancer les principaux débats existants sur ce sujet dont le but principal reste l’éclaircissement d’un sujet peu évoqué dans les cercles de discussion et de réflexion comme les notres , mais qui occupe une place centrale dans le fonctionnement de notre société de plus en plus financiarisée qu’on le veule ou non. Les économistes sont partagés quant à l’existence ou non d’un lien de causalité ou de corrélation entre le secteur financier et le secteur réel de l’économie.
2-Secteur financier et secteur réel : Quelle relation ?

L’analyse de l’interaction du développement du secteur réel (à travers la croissance économique) et celui financier est un débat vieux de plus d’un siècle. La question posée est alors de savoir: « Est-ce que le secteur financier qui tire et influence le développement du secteur réel ou c’est l’inverse qui se produit ? ».
Walter Bagehot [1873] et Shumpeter [1911] ont été les premiers à mettre en évidence l’existence d’un lien entre la croissance économique et le développement financier. Trois positions marquent le lien entre le système financier et croissance économique.

i)-Le secteur financier influe positivement sur la croissance économique
Ce premier groupe d’auteurs pense que le système financier a un impact positif sur la croissance économique. Il s’agit des auteurs comme Walter Bagehot [1873] et John Hicks [1969] qui ont montré le rôle critique qu’a joué le système financier dans l’essor de l’industrialisation en Angleterre en facilitant la mobilisation du capital .Schumpeter [1911] soulignant l’importance des banques via l’innovation technologique et le financement des entrepreneurs s’inscrit aussi dans le même ordre d’idée que Bagehot.
Les travaux de Gurley et Shaw [1960] (en approfondissant le rôle du secteur financier dans le processus de croissance économique) et Gerschenkron [1962] (qui a focalisé ses recherches dans l’analyse des écarts de développement par les différences du système bancaire) ont éclairé la voie dans recherche de l’existence du lien entre le secteur financier et la croissance économique. Mais les travaux ultérieurs de Goldsmith [1969] reste une référence .Dans ses travaux, Goldsmith [1969], s’appuie sur des données en coupe international sur la période 1860 à 1963 pour régresser la croissance moyenne sur le développement financier défini par la taille du secteur d’intermédiation financière (mesurée par la valeur de ses actifs sur le PIB).
Plus tard, Shaw et Mac Kinnon [1973] insistant beaucoup sur la théorie de la répression financière , Diamong .D et Dybvig.P [1983], Bencivenga et Smith [1991] mettant en avant le rôle du secteur bancaire ont permis de renouveler cette approche .Bencivenga, Smith et Starr [1996] ,Greenwood et Smith [1997], Rousseau et Wachtel [2000] quant à eux ont montré que la liquidité du marché boursier est importante pour la croissance économique.
Récemment , les travaux de Levine et King[1993] , Levine [1997 ,2000, 2004 , 2005] font autorité et constituent même les bases de références fondamentales en matière de l’analyse de l’ interaction entre le développement financier et croissance économique .Ross Levine [1997] s’intéressant sur un échantillon de 77 pays sur la période 1960-1989 a essayé de prouver l’existence de lien formel entre le développement de la sphère réelle et la sphère financière . Même si son résultat n’est pas vraiment concluant , l’auteur trouve des corrélations substantielles entre certains indicateurs de la croissance économique et quatre indices de la maturité du secteur financier :i)- le ratio des passifs liquides du secteur ( monnaie en circulation et dépôts à vue ) par rapport au PIB , ii)- le rôle des banques primaires par rapport à la banque centrale ;iii)-la part du secteur privé dans le crédit intérieur ;iv)-les encours de crédit chez les entreprises privés par rapport au PIB. Levine constate également que pour 57 pays, le niveau initial (1960) du premier indice –passifs liquides/PIB prédit de façon significative les indicateurs de la croissance du PIB pendant les 30 années suivantes. On peut déduire aussi de l’étude de Levine qu’il n’est pas possible de prédire si le taux de croissance économique pourrait augmenter et le cas échéant de combien du fait des reformes financières entraînant certains changements spécifiques pour les principaux indices sectoriels. Mais les crises financières des pays émergents des années 1990 et des années subséquentes qui ont largement déstabilisé le secteur réel sont les preuves formelles de l’existence de lien de causalité entre le secteur financier et le secteur réel.
ii)-La croissance économique influe positivement le secteur financier
Le deuxième groupe d’auteurs au premier rang desquels figurent la Keynésienne Joan Robinson pense plutôt que c’est la croissance qui mène le système financier. Pour Robinson [1952] , le développement économique créerait des demandes de type particulier auxquelles répond le système financier en se développant . Le développement du secteur financier peut être donc interprété comme le résultat des demandes exprimées par le secteur productif. La causalité vu précédemment est alors inversée : le processus de croissance exige de nouveaux modes de financements, ce qui provoque le développement du secteur financier. Cette vision keynésienne de Robinson (qui s’oppose à la vision de Schumpeter qui accorde un rôle capital des banques) s’appuie sur le postulat selon lequel : « La où l’entreprise conduit, la finance suit ».La finance et les banques apparaissent alors comme étant des réponses endogènes à la demande exprimée par les agents économiques. Cependant, dans sa contribution de 1979, elle semble nuancer sa position qui se rapproche de la notion de pouvoir d’achat de Schumpeter. Elle reconnaît ainsi que la croissance peut être entravée par une insuffisance de crédit .Pour Robinson[1979] , une économie qui a atteint un certain degré de complexité a besoin de monnaie qui est la représentation abstraite du pouvoir d’achat à partir duquel des transactions peuvent avoir lieu. La vision de Robinson conduit en réalité à une causalité à double sens .Dans un premier temps, l’entreprise emprunte à une banque, puis lorsque le projet a porté ses fruits et accru les gains de l’entreprise, elle commence à émettre des actions ou des obligations et à rembourser l’emprunt à la banque, reconstituant ainsi son crédit pour pouvoir emprunter de nouveau. Le deuxième sens de la causalité se manifeste lorsqu’une proportion plus ou moins constante de l’investissement est financée, l’accroissement du taux d’investissement conduit à une augmentation des prêts bancaires. Ainsi, les crédits bancaires causent en premier lieu l’investissement lequel se traduit en retour par un accroissement du revenu national qui accompagne l’élévation du niveau d’investissement. Cette vision à double sens entre finance et développement réel conduit à considérer que Schumpeter avait partiellement raison.
iii)-Pas de causalité formelle entre le secteur financier et la croissance économique
Ce dernier groupe d’auteurs ne croit pas qu’il y ait une corrélation formelle entre système financier et croissance économique .Robert Lucas [1988] pense ainsi que le rôle des facteurs financiers dans la croissance est exagéré. Mayer [1988] quant à lui avance qu’un marché boursier développé n’est pas important pour le financement de l’entreprise. Stiglitz [1985,1999] corrobore ce constat affirmant que la liquidité des marchés financiers n’a pas d’impact sur le comportement des gestionnaires de compagnies et donc n’exerce pas un certain contrôle corporatif .La plupart des économistes du développement sont également sceptiques quant au rôle du système financier dans la croissance économique. Mais compte tenu du développement spectaculaire de la littérature sur la croissance endogène, certains auteurs comme Berthelemy et Varoudakis [1996] ont mis en évidence l’ambivalence de la relation entre développement financier et croissance. Le résultat de l’étude de ces deux auteurs débouche sur la non-linéarité entre un indicateur de développement financier et la croissance. Ils ont déterminé l’existence d’un seuil minimum de développement financier au-delà duquel il pourrait exister une causalité dans le sens finance vers croissance (ce pays passe ainsi d’un club de convergence à un autre).Cette corrélation peut être inversée ou négative dans le stade de maturité du secteur financier.

Dans le but de mieux appréhender notre analyse, se referant à la littérature dominante, l’approche développée par Levine [1993, 1997] sera adoptée ici. Dans une certaine mesure nous adoptons déjà alors la position de Levine et ses collègues selon laquelle : « Le secteur financier exerce une influence positive sur la croissance ».Mais cette position n’est pas formelle. Levine lui-même dans ces travaux a émis des doutes quant à la l’universalité de ce lien de causalité. Cette position nous permettra de proposer les indicateurs clefs de développement financier indispensable à notre analyse.


1-2-2-Indicateurs de maturité financière

Comme le note Aghion [2007, p.80] : « Dans son excellent revue de littérature dans le Handbook of Economic Growth, Ross Levine [2005] résume ainsi la recherche actuelle sur la finance et la croissance. Globalement ,l’ensemble des recherches actuelles suggère que les pays dont les banques et les marchés fonctionnent mieux se développent plus rapidement , les biais de simultanéité ne semblent pas affecter ces conclusions , une efficacité accru des systèmes financiers réduit les contraintes qui pèsent sur le financement externe des entreprises indiquent qu’il s’agit là d’un des mécanismes par lesquels le développement des marchés financiers influencent la croissance ».Levine à travers cette affirmation confirme l’ existence d’un lien de causalité formelle entre développement financier et croissance. Son article fondateur de 1997 a permis de tirer les indicateurs relatifs au développement financier.
Dans un article de 1997, le Professeur Levine Ross [1997] dans le but d’étudier la relation existante entre le développement de la sphère financière et la sphère réelle de l’économie a relevé quatre indices permettant d’évaluer le niveau de développement financier d’un pays. Ces indicateurs reflètent l’état de maturité financière d’un pays.

i)-La PROFONDEUR FINANCIERE : une mesure de la taille du secteur financier, donne le ratio des passifs liquides du secteur de la monnaie en circulation, plus des dépôts à vue et des passifs porteurs d’intérêts des banques et des intermédiaires financiers non bancaire sur le PIB (M2 /PIB).
ii)-La BANQUE :une mesure du rôle des banques primaires vis-à-vis de la banque centrale , donne la part des banques primaires dans le crédit intérieur total , c'est-à-dire la créance des banques primaires , plus les actifs internes de la banque centrale.
iii)-Le PRIVE :une mesure de la part du secteur privé dans le crédit intérieur, donne le ratio du crédit alloué aux entreprises privées, à l’ exclusion des entreprises d’Etat, par rapport au crédit intérieur total net du crédit octroyé aux banques .La Banque mondiale à travers ses interventions et les différents rapports accorde une importance particulière au développement du secteur privé .On peut lire ainsi dans le rapport annuel de la Banque mondiale [2007,p.21 ] : « Des marchés diversifiés efficaces et bien réglementés, ainsi qu’un cadre juridique et réglementaire favorable au secteur privé, permettant aux entreprises des microentreprises aux multinationales d’investir de manière productive , de créer des emplois et de se développer ».
iv)-Le PRIVY :une mesure de l’ importance du crédit au secteur privé dans l’ économie dans son ensemble , donne le ratio du crédit aux entreprises privées (comme dans iii) par rapport au PIB .
A ces quatre indices relevés par Levine, nous allons en ajouter un relatif aux banques que nous appellerons « Banceco ».
v)-Le BANCECO : C’ est le ratio des crédits bancaires par rapport au PIB .Cet indice est très important car il permet d’évaluer l’importance des banques dans le financement de l’ économie d’un pays donné.

Au sens de Levine, l’hypothèse sous jacente des indices est que,plus chacun d’entre eux est grand au temps t ,plus rapide est la future croissance d’une économie .En d’autres termes ,plus le secteur financier est profond ( c’est à dire plus sa profondeur est grande ), plus le rôle la part su secteur privé dans le crédit intérieur est grande , plus le rôle des banques primaires est grand en comparaison de celui de la banque centrale , et plus le crédit en circulation dans les entreprises privés est grand par rapport à l’ économie globale , et plus le taux de croissance de l’ économie est élevé .

Faute de données statistiques suffisantes et faute de temps , on n'a pas pu vraiment focaliser l' analyse dans le cadre pratique.Notre demarche a été justement d'avancer ce débat.

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